• Myriam Boisaubert, poĂšte

    La figure et le cƓur sont le moteur et la bataille du travail de Marc Boucherot. Le visage dĂ©couvert, Il avance sans gants, sans agent, avec la conviction des justes : son dieu est son Ɠuvre, ses performances se font apĂŽtres, qui l’aime le suit, droit devant, sourire au point, en avant ! garde insolent !

    Le site de Port Miou, antique calanque placidement meurtrie, l’a choisi. En retour, Boucherot l’a entendu.

    Il a entendu les voix d’une industrie pĂ©rimĂ©e siffler les chants de sueur et de bagne en ricochets. Alors il s’est mis au travail, en fĂ©dĂ©rant des alliĂ©s, une Ă©quipe pour marquer et, pour exhumer les valeurs effritĂ©es du labeur, a recouvert d’or ces vestiges impurs, ces Ă©chos de l’effort, rouillĂ©s par la honte de l’indiffĂ©rence et la paresse de l’ñme.

    RĂ©vĂ©ler le trĂ©sor en flibustier de l’art est particuliĂšrement dĂ©lectable. Marc Boucherot n’est ni mineur ni charbonneur, il est un artiste radical et libre, un artiste en or massif !

    Cassis, le 29 septembre 2022

    Myriam Boisaubert

    Grand prix de formules magiques

  • L'ancienne carriĂšre. Histoires vraies

    Tous les mots qui disent l’archive ou l’archĂ©ologie moderne nous tendent des piĂšges. Sources, fonds, dĂ©pĂŽts : cet imaginaire aquatique et sĂ©dimentaire de l’archivage risque de nous faire croire que le passĂ© se dĂ©pose de lui-mĂȘme. En rĂ©alitĂ©, cela ne se passe pas ainsi : il y a des archives dĂšs lors que quelqu’un, quelque part et Ă  un moment donnĂ©, dĂ©cide d’archiver des vestiges, c’est-Ă -dire de dĂ©truire beaucoup pour conserver un peu. L’appellation de « dĂ©pĂŽt d’archives » ne devient alors intelligible que si on la dĂ©pouille de sa fausse naturalitĂ© pour la rendre Ă  la dignitĂ© humaine d’un acte volontaire. L’expression « dĂ©pĂŽt d’archives » convient particuliĂšrement au travail Ă  peine entamĂ© par Marc Boucherot et Gilles Panzani Ă  Port-Miou. C’est en effet au cours de plusieurs nettoyages annuels que l’équipe de la Capitainerie a accumulĂ© un nombre important de vestiges et d’objets industriels tĂ©moins de l’ancienne activitĂ© d’extraction de la Calanque-entreprise Solvay (Machines-outils plus ou moins ensevelies, manĂšge et wagons servant au transport, barres Ă  mines, anneaux utilisĂ©s par les bateaux pour le transport de la roche, fragments de trĂ©mies, vestiges du dĂ©versoir).

    Ces objets pour la plupart entreposĂ©s aux abords du ChĂąteau sont appelĂ©s Ă  ĂȘtre dĂ©truits et dĂ©localisĂ©s dans de l’orbite de lointaines villes-mondes. C’est en partie pour conserver ce patrimoine industriel du territoire calanquais que Gilles Panzani et Marc Boucherot ont commencĂ© en mars 2022 un vĂ©ritable travail d’archĂ©ologie moderne Ă  la fois sur terre et en mer. Ils ont ensemble entamĂ© un travail de repĂ©rage, de collecte, de documentation et de sĂ©lection du matĂ©riel. Ce « dĂ©pĂŽt des archives » de Port-Miou donne alors une autre musique, lente et solennelle, oĂč l’on entend Ă  la fois le retrait et l’offrande.

    Avec le projet « Port Mior » Il s’agit non pas de crĂ©er un Ă©comusĂ©e simple pourvoyeur de nostalgie. L’idĂ©e et la position Ă©thique sont ici trĂšs simples : plutĂŽt que faire dĂ©truire dans les pays du sud (Afrique, Inde) ou d’escamoter ce passĂ© industriel-dont on sait qu’il a Ă©tĂ© Ă  la fois fournisseur d’emplois dans la rĂ©gion pendant presque 80 ans et trĂšs polluant- Marc Boucherot propose de le regarder en face, et de faire de chaque objet une sorte de mĂ©morial ouvert Ă  l’interprĂ©tation. Il s’agit en d’autres termes « de mettre en forme » l’archive. Voici pourquoi c’est sans doute un mot cher Ă  Marc Boucherot qui peut le mieux dĂ©signer cette mise en forme : celui d’architecture. L’enjeu de l’archive rĂ©side bien ici dans l’invention d’une architecture de la mĂ©moire, qui en restitue le tempo et la topographie. Pour en produire la description la plus juste possible, sans doute doit-on Ă©voquer la maniĂšre dont notre collaborateur Gilles Panzani dĂ©finit lui-mĂȘme la mĂ©moire de Port-Miou :  elle est, dit-il, « ce qui finit un jour par refaire surface ».

    Refaire surface – voici assurĂ©ment l’expression d’un projet indissociablement poĂ©tique et politique, qui s’inscrit ici sur la surface sensible des objets sĂ©lectionnĂ©s et revisitĂ©s par Marc Boucherot. Il convient donc d’entendre la charge utopique de cette expression. Car c’est bien en re-matĂ©rialisant la mĂ©moire industrielle de Port-Miou qu’on peut la re-politiser et, partant, la revivifier, c’est-Ă -dire l’arracher Ă  la pulsion de mort et d’amnĂ©sie.

    Pour rendre ces monuments plus visibles que visibles, Marc Boucherot propose de les magnifier en recouvrant les outils et les machines les plus spectaculaires d’une peinture or biodĂ©gradable. Boucherot entend se servir de ces vestiges et du choix de l’or comme « d’une opportunitĂ© de clartĂ©. ». Le choix de cette couleur est le fruit d’un travail d’expĂ©rimentation avec des ingĂ©nieurs afin d’obtenir une couleur efficace visuellement et respectueuse de l’environnement naturel. Le choix de cette monochromie or ne vise ni le kitsch, ni la rĂ©novation cosmĂ©tique pimpante. A Port-Miou, le soleil tape et il tape fort. L’or est ici la seule couleur capable de jouer efficacement avec cette lumiĂšre aveuglante et de transformer nos nerfs optiques en cĂąbles Ă©lectriques. Mais l’or n’est pas seulement affaire de scintillement qui ferait briller, miroiter les vieilles promesses du bonheur moderne. Elle est aussi affaire d’accentuation psychologique. L’or charge l’effet, il surajoute, il dilate la perception, il dĂ©multiplie le jeu mental avec le rĂ©fĂ©rent rĂ©el rendu plus visible que visible, plus beau que beau. L’or, c’est la couleur de l’activisme divin et du baroque, d’essence transcendantale elle est aussi la plus politique des couleurs.

    Ce choix chromatique permet aussi une interprĂ©tation ouverte et non dogmatique. Certains pourront se dire que l’or de Port Mior n’existe pas. Ce n’est que le projet d’un illuminĂ©, qui, parce qu’il n’a pas d’or se met Ă  en fabriquer pour tous et « de bon coeur ! ». D’autres y verrons une cĂ©lĂ©bration d’un Ăąge d’or du travail Ă  un moment oĂč celui-ci semble s’éteindre. Le travail ici conçu non comme une opĂ©ration de production mais comme activitĂ© oĂč le sujet engage sa force et sa compĂ©tence au profit d’un seul projet : la survie.

    D’autres pourront y voir un propos en rapport avec la question du salut : le monde, il faut à tout prix le sauver si nous voulons pouvoir y vivre et nous, de même, y être sauvĂ©s. Or ce salut, seule l’activitĂ©Ì humaine le permet en dĂ©pit de ce paradoxe qui veut qu’activer peut abîmer le monde, autant que le rédimer. D’autres y verront « une mise en lumiĂšre » de la responsabilitĂ© humaine dans ce ratage collectif qu’est l’anthropocĂšne.

    D’autres enfin, plus cyniques, y verront une dystopie crĂ©Ă©e par le rĂȘve d’Autrui et les logiques d’enrichissement Ă  l’oeuvre sur le territoire. La vie humaine entrĂ©e dans la mise en tourisme de tout, la vie humaine entrĂ©e dans le rĂȘve des choses, celles de l’Argent, de la Valeur, de la Marchandise, de la Jouissance Ă  mort devenus des puissances mystiques qui agissent comme des dispositifs d’Ă©blouissement de nos imaginaires. Ce rĂȘve de la machine qui machine, de la machine qui manigance est notre lieu de vie. Vivre dans ce rĂȘve qui ne nous appartient pas, c’est devenir Ă  notre tour des images vivantes.

     

     

  • Aldo Rado

    C’est dans ce paradis blanc au riche patrimoine industriel, naturel et culturel que l’artiste a amarré son vieux thonier ‘Aldorado’ le 31 décembre 2021. Boucherot qui a l’habitude de sortir des cadres institutionnels de l’art contemporain et de travailler hors-champs voit en Port Miou un terrain de jeu rĂȘvé.

    D’abord parce que la capitainerie de cette zone de mouillage est dirigée par Gilles Panzani, naturaliste autodidacte et anthropologue de formation. Cassidain pur jus, le verbe haut et généreux, l’artiste voit vite en lui un partenaire et un interlocuteur idéal.

    Autre raison : la capitainerie et son chĂąteau ne sont pas encore tout à fait situés sur la carte des institutions à vocation artistique ou culturelle de la région. Tout est à faire et les lieux potentiels d’exposition ne manquent pas (le ChĂąteau, l’Orangeraie, la Chapelle, le front de taille, la zone du terrain vague qui sert d’entrée au Parc des calanques, les vestiges industriels, trĂ©mies
). Port Miou semble s’inscrire dans la tradition européenne des ‘Museum in Progress’, ces espaces intermédiaires et expérimentaux si propices à l’invention et la participation.

    A partir de ses travaux à Marseille, au Brésil, au Maroc et surtout en Chine, Marc Boucherot a toujours cherché à dĂ©noncer- non sans humour et poĂ©sie – les entreprises de planification autoritaire qui finissent par appauvrir et Ă©touffer le monde physique, naturel et social. Pourquoi, malgrĂ© des intentions parfois sincĂšres et orientĂ©es vers le bien-ĂȘtre de leurs populations et de la nature, les États modernes les ont-ils si souvent malmenĂ©es ? Pourquoi, malgrĂ© les moyens colossaux mis en Ɠuvre dans le domaine de la protection de l’environnement et de la culture, les grands projets de dĂ©veloppement ont-ils si tragiquement Ă©chouĂ© et ravagĂ© l’environnement ? Dans cette recherche artistique foisonnante, Marc Boucherot propose de dĂ©monter les logiques au fondement de ces projets poussant Ă  toujours plus de lisibilitĂ© et de contrĂŽle sur la nature et les sociĂ©tĂ©s humaines. En appuyant leur pouvoir sur des formes de classification, de standardisation et d’abstraction, la plupart des grands projets Ă©co-artistiques (ex : projet chinois de Nanlin, projet de transformation du Panier à Marseille
) tendent tous Ă  nĂ©gliger les mĂ©canismes et les processus informels d’ajustement pourtant essentiels Ă  la prĂ©servation d’ordres sociaux et Ă©cologiques viables. Ils Ă©chouent aussi car ils marginalisent (ou folklorisent) les savoirs locaux de celles et ceux qu’ils ciblent.

    A l’encontre de ces approches surplombantes, Marc Boucherot propose un projet d’immersion dans lequel il entend enregistrer à sa maniĂšre le rĂŽle de formes de savoirs et d’art plus modestes propres à Port Miou, Ă©troitement liĂ©es Ă  l’expĂ©rience pratique et davantage capables d’adaptation au grĂ© des circonstances. Port Miou est non seulement l’une des principales voies d’accĂšs au Parc National des Calanques, particuliĂšre du fait de sa proximité avec les espaces urbains de Cassis et Marseille, c’est aussi et surtout un site en perpétuelle transition. Ces espaces naturels, autrefois marqués par des activités de subsistance et des lieux de cultes a connu au XIXe siĂšcle une période industrielle polluante. Cette période qui s’achève dans les annĂ©es 80, est suivie, avec le développement des loisirs, par des acquisitions foncières privĂ©es puis publiques et des régimes de protection, laissant au territoire une évolution naturelle assez complexe. Ce processus a conduit à une superposition de traces, d’histoires et de relations à un territoire fortement approprié par l’homme pour le meilleur et pour le pire.

  • La Calanque de Port-Miou par Gilles Panzani, naturaliste et commissaire

    A la croisĂ©e des mondes, Ă  l’interstice des stigmates bĂ©ants d’un passĂ© industriel rĂ©volu et des espaces de libertĂ© partagĂ©e et de dĂ©couverte que reprĂ©sentent les Calanques
Port-Miou/Port Mior, interface patrimoniale, propose un itinĂ©raire initiatique oĂč s’enchevĂȘtrent et s’imbriquent, pour le meilleur, l’histoire naturelle, l’histoire des hommes, de la pierre, du travail et, au-delĂ , de la MĂ©diterranĂ©e. Terre de lĂ©gendes toujours vivaces, terre de fractures, telluriques, imaginaires fantasmĂ©es, terreau fertile pour les mythologies Ă  venir, la Calanque de Port-Miou est un vĂ©ritable El Dorado. A la fois havre salvateur depuis les confins de l’antiquitĂ© et porte d’entrĂ©e sanctifiĂ©e du massif des calanques, elle a su cristalliser, au fils des millĂ©naires, dans les strates de son gĂąteau napolitain, la mĂ©moire des usages autochtones, des sacrifices et de la joie de vivre du peuple calanquais.

    TombĂ© en pamoison pour le ruban des eaux claires de la Calanque, Marc Boucherot a Ă©chouĂ© son esquif, le Al-Dourado Ă  Port-Miou, aprĂšs avoir Ă©cumĂ© les points chauds de la PlanĂšte, de La Havane Ă  Canton, de Bakou Ă  Beyrouth en passant par l’Amazonie ou la frontiĂšre Mexicaine. L’artiste marseillais articule son travail sur l’immersion totale et s’attache avec passion aux lieux et aux hommes comme une arapĂšde Ă  un rocher battu par les flots. Pionnier de l’inventaire du rĂ©el, esthĂšte azimutĂ© de l’aventure humaine, Marc Boucherot se donne pour cap de valoriser les traces immatĂ©rielles et inconscientes en favorisant la collecte des expĂ©riences vĂ©cues par les hommes et en mettant sur un piĂ©destal les pratiques, les figures et les lieux. AprĂšs un travail encyclopĂ©dique quasi-naturaliste de recueil documentaire, Marc Boucherot s’installe et scrute chaque seconde les contours et la profondeur de sa zone d’intervention, mais surtout des personnages qui le composent, interagissent. Une relation de l’ordre de l’intime qui reprĂ©sentera alors l’essence mĂȘme du projet de l’artiste : mettre en Ă©vidence la beautĂ© des communautĂ©s humaines, du travail, avec pour leitmotiv, de crĂ©er d’aprĂšs ce qu’il observe de la sociĂ©tĂ© contemporaine et d’associer les individus ordinaires, les non-publics Ă  son engagement. Ici, dans la Calanque de Port-Miou, Marc Boucherot travaillera en premier lieu sur les traces mĂ©morielles du passĂ© industriel qui en a pour toujours transformer le faciĂšs austĂšre. TĂ©moin d’un El-Dorado industriel, d’un Ăąge d’or du Travail et de la richesse d’un patrimoine naturel, vĂ©ritable Eden. L’artiste utilisera de nombreux supports pour retranscrire son expĂ©rience sensible de ce pays de cocagne : installations in-situ, reportage photographique, valorisations des Ă©lĂ©ments de patrimoine ensevelis, projections, crĂ©ation et dĂ©tournement d’objets


    Les collaborateurs scientifiques : En naturaliste averti et expert du vivant sur le territoire calanquais, Gilles Panzani, directeur de la capitainerie de Port Miou accompagnera le projet de Marc Boucherot. En autochtone et esthĂšte, Rudy Ricciotti, qui suit depuis plus de 30 ans le travail de Marc Boucherot, a rĂ©pondu Ă  l’appel du clairon. Il associera aussi son expertise et sa connaissance parfaite du territoire et de son patrimoine industriel. Cette collaboration inĂ©dite entre un artiste local, une capitainerie, un territoire, une expertise savante combinant connaissance du milieu naturel calanquais et de l’histoire locale donne Ă  ce projet artistique une dimension transversale et vĂ©ritablement pluridisciplinaire.

     

  • Rudy Ricciotti Grand prix national d’architecture

    L’oeuvre de Marc Boucherot dans la calanque de Port Miou, glorifie l’hĂ©roĂŻsme des travailleurs de carriĂšre. Il loue leur mĂ©moire avec honneur et fidĂ©litĂ©. Il cĂ©lĂšbre le pauvre, c’est-Ă -dire la noblesse du pauvre.

    En ce sens, cela est déjà un ARTE POVERA.

    Sur l’ampleur majestueuse du site, l’oeuvre devient une manifestation de land Art, mais poursuivant celle-ci aujourd’hui sur le terrain politique, ce qu’aucun artiste amĂ©ricain n’aura jamais fait, il dĂ©place l’action sur l’horizon politique rappelant ainsi ce destin oubliĂ© du rĂŽle de l’artiste vivant… L’or, le bleu de la mer interrogeant de façon caustique le travail d’Yves Klein…, Marc Boucherot ne demande pas d’autorisation, ne demande pas d’argent, n’est pas subventionnĂ©… Il va trop loin !

    Bandol, le 22 septembre 2022

    Rudy Ricciotti

    Grand prix national d’architecture

Rudy Ricciotti Grand prix national d’architecture

L’oeuvre de Marc Boucherot dans la calanque de Port Miou, glorifie l’hĂ©roĂŻsme des travailleurs de carriĂšre. Il loue leur mĂ©moire avec honneur et fidĂ©litĂ©. Il cĂ©lĂšbre le pauvre, c’est-Ă -dire la noblesse du pauvre.

En ce sens, cela est déjà un ARTE POVERA.

Sur l’ampleur majestueuse du site, l’oeuvre devient une manifestation de land Art, mais poursuivant celle-ci aujourd’hui sur le terrain politique, ce qu’aucun artiste amĂ©ricain n’aura jamais fait, il dĂ©place l’action sur l’horizon politique rappelant ainsi ce destin oubliĂ© du rĂŽle de l’artiste vivant… L’or, le bleu de la mer interrogeant de façon caustique le travail d’Yves Klein…, Marc Boucherot ne demande pas d’autorisation, ne demande pas d’argent, n’est pas subventionnĂ©… Il va trop loin !

Bandol, le 22 septembre 2022

Rudy Ricciotti

Grand prix national d’architecture

La Calanque de Port-Miou par Gilles Panzani, naturaliste et commissaire

A la croisĂ©e des mondes, Ă  l’interstice des stigmates bĂ©ants d’un passĂ© industriel rĂ©volu et des espaces de libertĂ© partagĂ©e et de dĂ©couverte que reprĂ©sentent les Calanques
Port-Miou/Port Mior, interface patrimoniale, propose un itinĂ©raire initiatique oĂč s’enchevĂȘtrent et s’imbriquent, pour le meilleur, l’histoire naturelle, l’histoire des hommes, de la pierre, du travail et, au-delĂ , de la MĂ©diterranĂ©e. Terre de lĂ©gendes toujours vivaces, terre de fractures, telluriques, imaginaires fantasmĂ©es, terreau fertile pour les mythologies Ă  venir, la Calanque de Port-Miou est un vĂ©ritable El Dorado. A la fois havre salvateur depuis les confins de l’antiquitĂ© et porte d’entrĂ©e sanctifiĂ©e du massif des calanques, elle a su cristalliser, au fils des millĂ©naires, dans les strates de son gĂąteau napolitain, la mĂ©moire des usages autochtones, des sacrifices et de la joie de vivre du peuple calanquais.

TombĂ© en pamoison pour le ruban des eaux claires de la Calanque, Marc Boucherot a Ă©chouĂ© son esquif, le Al-Dourado Ă  Port-Miou, aprĂšs avoir Ă©cumĂ© les points chauds de la PlanĂšte, de La Havane Ă  Canton, de Bakou Ă  Beyrouth en passant par l’Amazonie ou la frontiĂšre Mexicaine. L’artiste marseillais articule son travail sur l’immersion totale et s’attache avec passion aux lieux et aux hommes comme une arapĂšde Ă  un rocher battu par les flots. Pionnier de l’inventaire du rĂ©el, esthĂšte azimutĂ© de l’aventure humaine, Marc Boucherot se donne pour cap de valoriser les traces immatĂ©rielles et inconscientes en favorisant la collecte des expĂ©riences vĂ©cues par les hommes et en mettant sur un piĂ©destal les pratiques, les figures et les lieux. AprĂšs un travail encyclopĂ©dique quasi-naturaliste de recueil documentaire, Marc Boucherot s’installe et scrute chaque seconde les contours et la profondeur de sa zone d’intervention, mais surtout des personnages qui le composent, interagissent. Une relation de l’ordre de l’intime qui reprĂ©sentera alors l’essence mĂȘme du projet de l’artiste : mettre en Ă©vidence la beautĂ© des communautĂ©s humaines, du travail, avec pour leitmotiv, de crĂ©er d’aprĂšs ce qu’il observe de la sociĂ©tĂ© contemporaine et d’associer les individus ordinaires, les non-publics Ă  son engagement. Ici, dans la Calanque de Port-Miou, Marc Boucherot travaillera en premier lieu sur les traces mĂ©morielles du passĂ© industriel qui en a pour toujours transformer le faciĂšs austĂšre. TĂ©moin d’un El-Dorado industriel, d’un Ăąge d’or du Travail et de la richesse d’un patrimoine naturel, vĂ©ritable Eden. L’artiste utilisera de nombreux supports pour retranscrire son expĂ©rience sensible de ce pays de cocagne : installations in-situ, reportage photographique, valorisations des Ă©lĂ©ments de patrimoine ensevelis, projections, crĂ©ation et dĂ©tournement d’objets


Les collaborateurs scientifiques : En naturaliste averti et expert du vivant sur le territoire calanquais, Gilles Panzani, directeur de la capitainerie de Port Miou accompagnera le projet de Marc Boucherot. En autochtone et esthĂšte, Rudy Ricciotti, qui suit depuis plus de 30 ans le travail de Marc Boucherot, a rĂ©pondu Ă  l’appel du clairon. Il associera aussi son expertise et sa connaissance parfaite du territoire et de son patrimoine industriel. Cette collaboration inĂ©dite entre un artiste local, une capitainerie, un territoire, une expertise savante combinant connaissance du milieu naturel calanquais et de l’histoire locale donne Ă  ce projet artistique une dimension transversale et vĂ©ritablement pluridisciplinaire.

 

Aldo Rado

C’est dans ce paradis blanc au riche patrimoine industriel, naturel et culturel que l’artiste a amarré son vieux thonier ‘Aldorado’ le 31 décembre 2021. Boucherot qui a l’habitude de sortir des cadres institutionnels de l’art contemporain et de travailler hors-champs voit en Port Miou un terrain de jeu rĂȘvé.

D’abord parce que la capitainerie de cette zone de mouillage est dirigée par Gilles Panzani, naturaliste autodidacte et anthropologue de formation. Cassidain pur jus, le verbe haut et généreux, l’artiste voit vite en lui un partenaire et un interlocuteur idéal.

Autre raison : la capitainerie et son chĂąteau ne sont pas encore tout à fait situés sur la carte des institutions à vocation artistique ou culturelle de la région. Tout est à faire et les lieux potentiels d’exposition ne manquent pas (le ChĂąteau, l’Orangeraie, la Chapelle, le front de taille, la zone du terrain vague qui sert d’entrée au Parc des calanques, les vestiges industriels, trĂ©mies
). Port Miou semble s’inscrire dans la tradition européenne des ‘Museum in Progress’, ces espaces intermédiaires et expérimentaux si propices à l’invention et la participation.

A partir de ses travaux à Marseille, au Brésil, au Maroc et surtout en Chine, Marc Boucherot a toujours cherché à dĂ©noncer- non sans humour et poĂ©sie – les entreprises de planification autoritaire qui finissent par appauvrir et Ă©touffer le monde physique, naturel et social. Pourquoi, malgrĂ© des intentions parfois sincĂšres et orientĂ©es vers le bien-ĂȘtre de leurs populations et de la nature, les États modernes les ont-ils si souvent malmenĂ©es ? Pourquoi, malgrĂ© les moyens colossaux mis en Ɠuvre dans le domaine de la protection de l’environnement et de la culture, les grands projets de dĂ©veloppement ont-ils si tragiquement Ă©chouĂ© et ravagĂ© l’environnement ? Dans cette recherche artistique foisonnante, Marc Boucherot propose de dĂ©monter les logiques au fondement de ces projets poussant Ă  toujours plus de lisibilitĂ© et de contrĂŽle sur la nature et les sociĂ©tĂ©s humaines. En appuyant leur pouvoir sur des formes de classification, de standardisation et d’abstraction, la plupart des grands projets Ă©co-artistiques (ex : projet chinois de Nanlin, projet de transformation du Panier à Marseille
) tendent tous Ă  nĂ©gliger les mĂ©canismes et les processus informels d’ajustement pourtant essentiels Ă  la prĂ©servation d’ordres sociaux et Ă©cologiques viables. Ils Ă©chouent aussi car ils marginalisent (ou folklorisent) les savoirs locaux de celles et ceux qu’ils ciblent.

A l’encontre de ces approches surplombantes, Marc Boucherot propose un projet d’immersion dans lequel il entend enregistrer à sa maniĂšre le rĂŽle de formes de savoirs et d’art plus modestes propres à Port Miou, Ă©troitement liĂ©es Ă  l’expĂ©rience pratique et davantage capables d’adaptation au grĂ© des circonstances. Port Miou est non seulement l’une des principales voies d’accĂšs au Parc National des Calanques, particuliĂšre du fait de sa proximité avec les espaces urbains de Cassis et Marseille, c’est aussi et surtout un site en perpétuelle transition. Ces espaces naturels, autrefois marqués par des activités de subsistance et des lieux de cultes a connu au XIXe siĂšcle une période industrielle polluante. Cette période qui s’achève dans les annĂ©es 80, est suivie, avec le développement des loisirs, par des acquisitions foncières privĂ©es puis publiques et des régimes de protection, laissant au territoire une évolution naturelle assez complexe. Ce processus a conduit à une superposition de traces, d’histoires et de relations à un territoire fortement approprié par l’homme pour le meilleur et pour le pire.

L'ancienne carriĂšre. Histoires vraies

Tous les mots qui disent l’archive ou l’archĂ©ologie moderne nous tendent des piĂšges. Sources, fonds, dĂ©pĂŽts : cet imaginaire aquatique et sĂ©dimentaire de l’archivage risque de nous faire croire que le passĂ© se dĂ©pose de lui-mĂȘme. En rĂ©alitĂ©, cela ne se passe pas ainsi : il y a des archives dĂšs lors que quelqu’un, quelque part et Ă  un moment donnĂ©, dĂ©cide d’archiver des vestiges, c’est-Ă -dire de dĂ©truire beaucoup pour conserver un peu. L’appellation de « dĂ©pĂŽt d’archives » ne devient alors intelligible que si on la dĂ©pouille de sa fausse naturalitĂ© pour la rendre Ă  la dignitĂ© humaine d’un acte volontaire. L’expression « dĂ©pĂŽt d’archives » convient particuliĂšrement au travail Ă  peine entamĂ© par Marc Boucherot et Gilles Panzani Ă  Port-Miou. C’est en effet au cours de plusieurs nettoyages annuels que l’équipe de la Capitainerie a accumulĂ© un nombre important de vestiges et d’objets industriels tĂ©moins de l’ancienne activitĂ© d’extraction de la Calanque-entreprise Solvay (Machines-outils plus ou moins ensevelies, manĂšge et wagons servant au transport, barres Ă  mines, anneaux utilisĂ©s par les bateaux pour le transport de la roche, fragments de trĂ©mies, vestiges du dĂ©versoir).

Ces objets pour la plupart entreposĂ©s aux abords du ChĂąteau sont appelĂ©s Ă  ĂȘtre dĂ©truits et dĂ©localisĂ©s dans de l’orbite de lointaines villes-mondes. C’est en partie pour conserver ce patrimoine industriel du territoire calanquais que Gilles Panzani et Marc Boucherot ont commencĂ© en mars 2022 un vĂ©ritable travail d’archĂ©ologie moderne Ă  la fois sur terre et en mer. Ils ont ensemble entamĂ© un travail de repĂ©rage, de collecte, de documentation et de sĂ©lection du matĂ©riel. Ce « dĂ©pĂŽt des archives » de Port-Miou donne alors une autre musique, lente et solennelle, oĂč l’on entend Ă  la fois le retrait et l’offrande.

Avec le projet « Port Mior » Il s’agit non pas de crĂ©er un Ă©comusĂ©e simple pourvoyeur de nostalgie. L’idĂ©e et la position Ă©thique sont ici trĂšs simples : plutĂŽt que faire dĂ©truire dans les pays du sud (Afrique, Inde) ou d’escamoter ce passĂ© industriel-dont on sait qu’il a Ă©tĂ© Ă  la fois fournisseur d’emplois dans la rĂ©gion pendant presque 80 ans et trĂšs polluant- Marc Boucherot propose de le regarder en face, et de faire de chaque objet une sorte de mĂ©morial ouvert Ă  l’interprĂ©tation. Il s’agit en d’autres termes « de mettre en forme » l’archive. Voici pourquoi c’est sans doute un mot cher Ă  Marc Boucherot qui peut le mieux dĂ©signer cette mise en forme : celui d’architecture. L’enjeu de l’archive rĂ©side bien ici dans l’invention d’une architecture de la mĂ©moire, qui en restitue le tempo et la topographie. Pour en produire la description la plus juste possible, sans doute doit-on Ă©voquer la maniĂšre dont notre collaborateur Gilles Panzani dĂ©finit lui-mĂȘme la mĂ©moire de Port-Miou :  elle est, dit-il, « ce qui finit un jour par refaire surface ».

Refaire surface – voici assurĂ©ment l’expression d’un projet indissociablement poĂ©tique et politique, qui s’inscrit ici sur la surface sensible des objets sĂ©lectionnĂ©s et revisitĂ©s par Marc Boucherot. Il convient donc d’entendre la charge utopique de cette expression. Car c’est bien en re-matĂ©rialisant la mĂ©moire industrielle de Port-Miou qu’on peut la re-politiser et, partant, la revivifier, c’est-Ă -dire l’arracher Ă  la pulsion de mort et d’amnĂ©sie.

Pour rendre ces monuments plus visibles que visibles, Marc Boucherot propose de les magnifier en recouvrant les outils et les machines les plus spectaculaires d’une peinture or biodĂ©gradable. Boucherot entend se servir de ces vestiges et du choix de l’or comme « d’une opportunitĂ© de clartĂ©. ». Le choix de cette couleur est le fruit d’un travail d’expĂ©rimentation avec des ingĂ©nieurs afin d’obtenir une couleur efficace visuellement et respectueuse de l’environnement naturel. Le choix de cette monochromie or ne vise ni le kitsch, ni la rĂ©novation cosmĂ©tique pimpante. A Port-Miou, le soleil tape et il tape fort. L’or est ici la seule couleur capable de jouer efficacement avec cette lumiĂšre aveuglante et de transformer nos nerfs optiques en cĂąbles Ă©lectriques. Mais l’or n’est pas seulement affaire de scintillement qui ferait briller, miroiter les vieilles promesses du bonheur moderne. Elle est aussi affaire d’accentuation psychologique. L’or charge l’effet, il surajoute, il dilate la perception, il dĂ©multiplie le jeu mental avec le rĂ©fĂ©rent rĂ©el rendu plus visible que visible, plus beau que beau. L’or, c’est la couleur de l’activisme divin et du baroque, d’essence transcendantale elle est aussi la plus politique des couleurs.

Ce choix chromatique permet aussi une interprĂ©tation ouverte et non dogmatique. Certains pourront se dire que l’or de Port Mior n’existe pas. Ce n’est que le projet d’un illuminĂ©, qui, parce qu’il n’a pas d’or se met Ă  en fabriquer pour tous et « de bon coeur ! ». D’autres y verrons une cĂ©lĂ©bration d’un Ăąge d’or du travail Ă  un moment oĂč celui-ci semble s’éteindre. Le travail ici conçu non comme une opĂ©ration de production mais comme activitĂ© oĂč le sujet engage sa force et sa compĂ©tence au profit d’un seul projet : la survie.

D’autres pourront y voir un propos en rapport avec la question du salut : le monde, il faut à tout prix le sauver si nous voulons pouvoir y vivre et nous, de même, y être sauvĂ©s. Or ce salut, seule l’activitĂ©Ì humaine le permet en dĂ©pit de ce paradoxe qui veut qu’activer peut abîmer le monde, autant que le rédimer. D’autres y verront « une mise en lumiĂšre » de la responsabilitĂ© humaine dans ce ratage collectif qu’est l’anthropocĂšne.

D’autres enfin, plus cyniques, y verront une dystopie crĂ©Ă©e par le rĂȘve d’Autrui et les logiques d’enrichissement Ă  l’oeuvre sur le territoire. La vie humaine entrĂ©e dans la mise en tourisme de tout, la vie humaine entrĂ©e dans le rĂȘve des choses, celles de l’Argent, de la Valeur, de la Marchandise, de la Jouissance Ă  mort devenus des puissances mystiques qui agissent comme des dispositifs d’Ă©blouissement de nos imaginaires. Ce rĂȘve de la machine qui machine, de la machine qui manigance est notre lieu de vie. Vivre dans ce rĂȘve qui ne nous appartient pas, c’est devenir Ă  notre tour des images vivantes.

 

 

Myriam Boisaubert, poĂšte

La figure et le cƓur sont le moteur et la bataille du travail de Marc Boucherot. Le visage dĂ©couvert, Il avance sans gants, sans agent, avec la conviction des justes : son dieu est son Ɠuvre, ses performances se font apĂŽtres, qui l’aime le suit, droit devant, sourire au point, en avant ! garde insolent !

Le site de Port Miou, antique calanque placidement meurtrie, l’a choisi. En retour, Boucherot l’a entendu.

Il a entendu les voix d’une industrie pĂ©rimĂ©e siffler les chants de sueur et de bagne en ricochets. Alors il s’est mis au travail, en fĂ©dĂ©rant des alliĂ©s, une Ă©quipe pour marquer et, pour exhumer les valeurs effritĂ©es du labeur, a recouvert d’or ces vestiges impurs, ces Ă©chos de l’effort, rouillĂ©s par la honte de l’indiffĂ©rence et la paresse de l’ñme.

RĂ©vĂ©ler le trĂ©sor en flibustier de l’art est particuliĂšrement dĂ©lectable. Marc Boucherot n’est ni mineur ni charbonneur, il est un artiste radical et libre, un artiste en or massif !

Cassis, le 29 septembre 2022

Myriam Boisaubert

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