Lâoeuvre de Marc Boucherot dans la calanque de Port Miou, glorifie lâhĂ©roĂŻsme des travailleurs de carriĂšre. Il loue leur mĂ©moire avec honneur et fidĂ©litĂ©. Il cĂ©lĂšbre le pauvre, câest-Ă -dire la noblesse du pauvre.
En ce sens, cela est déjà un ARTE POVERA.
Sur lâampleur majestueuse du site, lâoeuvre devient une manifestation de land Art, mais poursuivant celle-ci aujourdâhui sur le terrain politique, ce quâaucun artiste amĂ©ricain nâaura jamais fait, il dĂ©place lâaction sur lâhorizon politique rappelant ainsi ce destin oubliĂ© du rĂŽle de lâartiste vivant… Lâor, le bleu de la mer interrogeant de façon caustique le travail dâYves Klein…, Marc Boucherot ne demande pas dâautorisation, ne demande pas dâargent, nâest pas subventionnĂ©… Il va trop loin !
Bandol, le 22 septembre 2022
Rudy Ricciotti
Grand prix national dâarchitecture
A la croisĂ©e des mondes, Ă lâinterstice des stigmates bĂ©ants dâun passĂ© industriel rĂ©volu et des espaces de libertĂ© partagĂ©e et de dĂ©couverte que reprĂ©sentent les CalanquesâŠPort-Miou/Port Mior, interface patrimoniale, propose un itinĂ©raire initiatique oĂč sâenchevĂȘtrent et sâimbriquent, pour le meilleur, lâhistoire naturelle, lâhistoire des hommes, de la pierre, du travail et, au-delĂ , de la MĂ©diterranĂ©e. Terre de lĂ©gendes toujours vivaces, terre de fractures, telluriques, imaginaires fantasmĂ©es, terreau fertile pour les mythologies Ă venir, la Calanque de Port-Miou est un vĂ©ritable El Dorado. A la fois havre salvateur depuis les confins de lâantiquitĂ© et porte dâentrĂ©e sanctifiĂ©e du massif des calanques, elle a su cristalliser, au fils des millĂ©naires, dans les strates de son gĂąteau napolitain, la mĂ©moire des usages autochtones, des sacrifices et de la joie de vivre du peuple calanquais.
TombĂ© en pamoison pour le ruban des eaux claires de la Calanque, Marc Boucherot a Ă©chouĂ© son esquif, le Al-Dourado Ă Port-Miou, aprĂšs avoir Ă©cumĂ© les points chauds de la PlanĂšte, de La Havane Ă Canton, de Bakou Ă Beyrouth en passant par lâAmazonie ou la frontiĂšre Mexicaine. Lâartiste marseillais articule son travail sur lâimmersion totale et sâattache avec passion aux lieux et aux hommes comme une arapĂšde Ă un rocher battu par les flots. Pionnier de lâinventaire du rĂ©el, esthĂšte azimutĂ© de lâaventure humaine, Marc Boucherot se donne pour cap de valoriser les traces immatĂ©rielles et inconscientes en favorisant la collecte des expĂ©riences vĂ©cues par les hommes et en mettant sur un piĂ©destal les pratiques, les figures et les lieux. AprĂšs un travail encyclopĂ©dique quasi-naturaliste de recueil documentaire, Marc Boucherot sâinstalle et scrute chaque seconde les contours et la profondeur de sa zone dâintervention, mais surtout des personnages qui le composent, interagissent. Une relation de lâordre de lâintime qui reprĂ©sentera alors lâessence mĂȘme du projet de lâartiste : mettre en Ă©vidence la beautĂ© des communautĂ©s humaines, du travail, avec pour leitmotiv, de crĂ©er dâaprĂšs ce quâil observe de la sociĂ©tĂ© contemporaine et dâassocier les individus ordinaires, les non-publics Ă son engagement. Ici, dans la Calanque de Port-Miou, Marc Boucherot travaillera en premier lieu sur les traces mĂ©morielles du passĂ© industriel qui en a pour toujours transformer le faciĂšs austĂšre. TĂ©moin dâun El-Dorado industriel, dâun Ăąge dâor du Travail et de la richesse dâun patrimoine naturel, vĂ©ritable Eden. Lâartiste utilisera de nombreux supports pour retranscrire son expĂ©rience sensible de ce pays de cocagne : installations in-situ, reportage photographique, valorisations des Ă©lĂ©ments de patrimoine ensevelis, projections, crĂ©ation et dĂ©tournement dâobjetsâŠ
Les collaborateurs scientifiques : En naturaliste averti et expert du vivant sur le territoire calanquais, Gilles Panzani, directeur de la capitainerie de Port Miou accompagnera le projet de Marc Boucherot. En autochtone et esthĂšte, Rudy Ricciotti, qui suit depuis plus de 30 ans le travail de Marc Boucherot, a rĂ©pondu Ă lâappel du clairon. Il associera aussi son expertise et sa connaissance parfaite du territoire et de son patrimoine industriel. Cette collaboration inĂ©dite entre un artiste local, une capitainerie, un territoire, une expertise savante combinant connaissance du milieu naturel calanquais et de lâhistoire locale donne Ă ce projet artistique une dimension transversale et vĂ©ritablement pluridisciplinaire.
Câest dans ce paradis blanc au riche patrimoine industriel, naturel et culturel que lâartiste a amarreÌ son vieux thonier âAldoradoâ le 31 deÌcembre 2021. Boucherot qui a lâhabitude de sortir des cadres institutionnels de lâart contemporain et de travailler hors-champs voit en Port Miou un terrain de jeu rĂȘveÌ.
Dâabord parce que la capitainerie de cette zone de mouillage est dirigeÌe par Gilles Panzani, naturaliste autodidacte et anthropologue de formation. Cassidain pur jus, le verbe haut et geÌneÌreux, lâartiste voit vite en lui un partenaire et un interlocuteur ideÌal.
Autre raison : la capitainerie et son chĂąteau ne sont pas encore tout aÌ fait situeÌs sur la carte des institutions aÌ vocation artistique ou culturelle de la reÌgion. Tout est aÌ faire et les lieux potentiels dâexposition ne manquent pas (le ChĂąteau, lâOrangeraie, la Chapelle, le front de taille, la zone du terrain vague qui sert dâentreÌe au Parc des calanques, les vestiges industriels, trĂ©miesâŠ). Port Miou semble sâinscrire dans la tradition europeÌenne des âMuseum in Progressâ, ces espaces intermeÌdiaires et expeÌrimentaux si propices aÌ lâinvention et la participation.
A partir de ses travaux aÌ Marseille, au BreÌsil, au Maroc et surtout en Chine, Marc Boucherot a toujours chercheÌ aÌ dĂ©noncer- non sans humour et poĂ©sie – les entreprises de planification autoritaire qui finissent par appauvrir et Ă©touffer le monde physique, naturel et social. Pourquoi, malgrĂ© des intentions parfois sincĂšres et orientĂ©es vers le bien-ĂȘtre de leurs populations et de la nature, les Ătats modernes les ont-ils si souvent malmenĂ©es ? Pourquoi, malgrĂ© les moyens colossaux mis en Ćuvre dans le domaine de la protection de lâenvironnement et de la culture, les grands projets de dĂ©veloppement ont-ils si tragiquement Ă©chouĂ© et ravagĂ© lâenvironnement ? Dans cette recherche artistique foisonnante, Marc Boucherot propose de dĂ©monter les logiques au fondement de ces projets poussant Ă toujours plus de lisibilitĂ© et de contrĂŽle sur la nature et les sociĂ©tĂ©s humaines. En appuyant leur pouvoir sur des formes de classification, de standardisation et dâabstraction, la plupart des grands projets Ă©co-artistiques (ex : projet chinois de Nanlin, projet de transformation du Panier aÌ MarseilleâŠ) tendent tous Ă nĂ©gliger les mĂ©canismes et les processus informels dâajustement pourtant essentiels Ă la prĂ©servation dâordres sociaux et Ă©cologiques viables. Ils Ă©chouent aussi car ils marginalisent (ou folklorisent) les savoirs locaux de celles et ceux quâils ciblent.
A lâencontre de ces approches surplombantes, Marc Boucherot propose un projet dâimmersion dans lequel il entend enregistrer aÌ sa maniĂšre le rĂŽle de formes de savoirs et dâart plus modestes propres aÌ Port Miou, Ă©troitement liĂ©es Ă lâexpĂ©rience pratique et davantage capables dâadaptation au grĂ© des circonstances. Port Miou est non seulement lâune des principales voies dâaccĂšs au Parc National des Calanques, particuliĂšre du fait de sa proximiteÌ avec les espaces urbains de Cassis et Marseille, câest aussi et surtout un site en perpeÌtuelle transition. Ces espaces naturels, autrefois marqueÌs par des activiteÌs de subsistance et des lieux de cultes a connu au XIXe siĂšcle une peÌriode industrielle polluante. Cette peÌriode qui sâacheÌve dans les annĂ©es 80, est suivie, avec le deÌveloppement des loisirs, par des acquisitions foncieÌres privĂ©es puis publiques et des reÌgimes de protection, laissant au territoire une eÌvolution naturelle assez complexe. Ce processus a conduit aÌ une superposition de traces, dâhistoires et de relations aÌ un territoire fortement approprieÌ par lâhomme pour le meilleur et pour le pire.
Tous les mots qui disent lâarchive ou lâarchĂ©ologie moderne nous tendent des piĂšges. Sources, fonds, dĂ©pĂŽts : cet imaginaire aquatique et sĂ©dimentaire de lâarchivage risque de nous faire croire que le passĂ© se dĂ©pose de lui-mĂȘme. En rĂ©alitĂ©, cela ne se passe pas ainsi : il y a des archives dĂšs lors que quelquâun, quelque part et Ă un moment donnĂ©, dĂ©cide dâarchiver des vestiges, câest-Ă -dire de dĂ©truire beaucoup pour conserver un peu. Lâappellation de « dĂ©pĂŽt dâarchives » ne devient alors intelligible que si on la dĂ©pouille de sa fausse naturalitĂ© pour la rendre Ă la dignitĂ© humaine dâun acte volontaire. Lâexpression « dĂ©pĂŽt dâarchives » convient particuliĂšrement au travail Ă peine entamĂ© par Marc Boucherot et Gilles Panzani Ă Port-Miou. Câest en effet au cours de plusieurs nettoyages annuels que lâĂ©quipe de la Capitainerie a accumulĂ© un nombre important de vestiges et dâobjets industriels tĂ©moins de lâancienne activitĂ© dâextraction de la Calanque-entreprise Solvay (Machines-outils plus ou moins ensevelies, manĂšge et wagons servant au transport, barres Ă mines, anneaux utilisĂ©s par les bateaux pour le transport de la roche, fragments de trĂ©mies, vestiges du dĂ©versoir).
Ces objets pour la plupart entreposĂ©s aux abords du ChĂąteau sont appelĂ©s Ă ĂȘtre dĂ©truits et dĂ©localisĂ©s dans de l’orbite de lointaines villes-mondes. Câest en partie pour conserver ce patrimoine industriel du territoire calanquais que Gilles Panzani et Marc Boucherot ont commencĂ© en mars 2022 un vĂ©ritable travail dâarchĂ©ologie moderne Ă la fois sur terre et en mer. Ils ont ensemble entamĂ© un travail de repĂ©rage, de collecte, de documentation et de sĂ©lection du matĂ©riel. Ce « dĂ©pĂŽt des archives » de Port-Miou donne alors une autre musique, lente et solennelle, oĂč lâon entend Ă la fois le retrait et lâoffrande.
Avec le projet « Port Mior » Il sâagit non pas de crĂ©er un Ă©comusĂ©e simple pourvoyeur de nostalgie. LâidĂ©e et la position Ă©thique sont ici trĂšs simples : plutĂŽt que faire dĂ©truire dans les pays du sud (Afrique, Inde) ou d’escamoter ce passĂ© industriel-dont on sait quâil a Ă©tĂ© Ă la fois fournisseur dâemplois dans la rĂ©gion pendant presque 80 ans et trĂšs polluant- Marc Boucherot propose de le regarder en face, et de faire de chaque objet une sorte de mĂ©morial ouvert Ă lâinterprĂ©tation. Il sâagit en dâautres termes « de mettre en forme » lâarchive. Voici pourquoi câest sans doute un mot cher Ă Marc Boucherot qui peut le mieux dĂ©signer cette mise en forme : celui dâarchitecture. Lâenjeu de lâarchive rĂ©side bien ici dans lâinvention dâune architecture de la mĂ©moire, qui en restitue le tempo et la topographie. Pour en produire la description la plus juste possible, sans doute doit-on Ă©voquer la maniĂšre dont notre collaborateur Gilles Panzani dĂ©finit lui-mĂȘme la mĂ©moire de Port-Miou :  elle est, dit-il, « ce qui finit un jour par refaire surface ».
Refaire surface – voici assurĂ©ment lâexpression dâun projet indissociablement poĂ©tique et politique, qui sâinscrit ici sur la surface sensible des objets sĂ©lectionnĂ©s et revisitĂ©s par Marc Boucherot. Il convient donc dâentendre la charge utopique de cette expression. Car câest bien en re-matĂ©rialisant la mĂ©moire industrielle de Port-Miou quâon peut la re-politiser et, partant, la revivifier, câest-Ă -dire lâarracher Ă la pulsion de mort et dâamnĂ©sie.
Pour rendre ces monuments plus visibles que visibles, Marc Boucherot propose de les magnifier en recouvrant les outils et les machines les plus spectaculaires dâune peinture or biodĂ©gradable. Boucherot entend se servir de ces vestiges et du choix de lâor comme « dâune opportunitĂ© de clartĂ©. ». Le choix de cette couleur est le fruit dâun travail dâexpĂ©rimentation avec des ingĂ©nieurs afin dâobtenir une couleur efficace visuellement et respectueuse de lâenvironnement naturel. Le choix de cette monochromie or ne vise ni le kitsch, ni la rĂ©novation cosmĂ©tique pimpante. A Port-Miou, le soleil tape et il tape fort. Lâor est ici la seule couleur capable de jouer efficacement avec cette lumiĂšre aveuglante et de transformer nos nerfs optiques en cĂąbles Ă©lectriques. Mais lâor nâest pas seulement affaire de scintillement qui ferait briller, miroiter les vieilles promesses du bonheur moderne. Elle est aussi affaire dâaccentuation psychologique. Lâor charge lâeffet, il surajoute, il dilate la perception, il dĂ©multiplie le jeu mental avec le rĂ©fĂ©rent rĂ©el rendu plus visible que visible, plus beau que beau. Lâor, câest la couleur de lâactivisme divin et du baroque, dâessence transcendantale elle est aussi la plus politique des couleurs.
Ce choix chromatique permet aussi une interprĂ©tation ouverte et non dogmatique. Certains pourront se dire que l’or de Port Mior n’existe pas. Ce n’est que le projet d’un illuminĂ©, qui, parce qu’il n’a pas d’or se met Ă en fabriquer pour tous et « de bon coeur ! ». D’autres y verrons une cĂ©lĂ©bration dâun Ăąge dâor du travail Ă un moment oĂč celui-ci semble sâĂ©teindre. Le travail ici conçu non comme une opĂ©ration de production mais comme activitĂ© oĂč le sujet engage sa force et sa compĂ©tence au profit dâun seul projet : la survie.
Dâautres pourront y voir un propos en rapport avec la question du salut : le monde, il faut aÌ tout prix le sauver si nous voulons pouvoir y vivre et nous, de meÌme, y eÌtre sauvĂ©s. Or ce salut, seule lâactivitĂ©Ì humaine le permet en dĂ©pit de ce paradoxe qui veut quâactiver peut abiÌmer le monde, autant que le reÌdimer. Dâautres y verront « une mise en lumiĂšre » de la responsabilitĂ© humaine dans ce ratage collectif quâest lâanthropocĂšne.
D’autres enfin, plus cyniques, y verront une dystopie crĂ©Ă©e par le rĂȘve d’Autrui et les logiques d’enrichissement Ă l’oeuvre sur le territoire. La vie humaine entrĂ©e dans la mise en tourisme de tout, la vie humaine entrĂ©e dans le rĂȘve des choses, celles de l’Argent, de la Valeur, de la Marchandise, de la Jouissance Ă mort devenus des puissances mystiques qui agissent comme des dispositifs d’Ă©blouissement de nos imaginaires. Ce rĂȘve de la machine qui machine, de la machine qui manigance est notre lieu de vie. Vivre dans ce rĂȘve qui ne nous appartient pas, c’est devenir Ă notre tour des images vivantes.
La figure et le cĆur sont le moteur et la bataille du travail de Marc Boucherot. Le visage dĂ©couvert, Il avance sans gants, sans agent, avec la conviction des justes : son dieu est son Ćuvre, ses performances se font apĂŽtres, qui lâaime le suit, droit devant, sourire au point, en avant ! garde insolent !
Le site de Port Miou, antique calanque placidement meurtrie, lâa choisi. En retour, Boucherot lâa entendu.
Il a entendu les voix dâune industrie pĂ©rimĂ©e siffler les chants de sueur et de bagne en ricochets. Alors il sâest mis au travail, en fĂ©dĂ©rant des alliĂ©s, une Ă©quipe pour marquer et, pour exhumer les valeurs effritĂ©es du labeur, a recouvert dâor ces vestiges impurs, ces Ă©chos de lâeffort, rouillĂ©s par la honte de lâindiffĂ©rence et la paresse de lâĂąme.
RĂ©vĂ©ler le trĂ©sor en flibustier de lâart est particuliĂšrement dĂ©lectable. Marc Boucherot nâest ni mineur ni charbonneur, il est un artiste radical et libre, un artiste en or massif !
Cassis, le 29 septembre 2022
Myriam Boisaubert
Grand prix de formules magiques