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Marc Boucherot est né sous le sapin le 24 décembre 1968 à Nouméa. Cet ancien diplômé́ des Beaux-Arts de Marseille a exposé́ à au Palais de Tokyo, la FIAC (Foire Internationale de l’Art Contemporain), la Fondation Ricard, au FRAC et au MAC (Musée d’Art contemporain) de Marseille. Il a été invité à plusieurs biennales internationales dont celles de la Havane et de Canton. Son travail a fait l’objet de recherches universitaires notamment Art contemporain et citadins à Marseille, 2012 dirigé par Sylvia Girel (Professeure des universités et chercheuse au CNRS-LAMES/MESOPOLHIS); Paul Ardenne (Agrégé́ d’Histoire & commissaire d’exposition) et ses ouvrages Un Art Contextuel, 2002; Art, le présent, 2009 ; Marc Rosmini (Professeur de philosophie), Marseille Révélée par l’Art Contemporain, 2007…
« Interventionniste de génie et grand archiviste de l’humain, Marc Boucherot s’engage dans le champ du réel et produit des œuvres dont le point de départ est l’immersion dans un territoire particulier. Il s’agit alors de mettre à l’épreuve des structures sociales, économiques, culturelles et médiatiques. » (Philippe Vergne, directeur du MAC de Porto). « Sa pratique prend appui sur toutes les formes de travail et d’économie parallèles, celles qui ne connaissent ni limites, ni frontières, et contribuent à niveler les valeurs d’usage et d’échange. Un exemple : les baraques mobiles qui servent à gagner trois sous dans la « misère du monde », peuvent même aller jusqu’à s’installer dans une salle du CNAP (…) L’empire de Marc Boucherot est celui du système D et du réel in vivo. » (Evelyne Jouanno critique d’art & commissaire d’exposition, MAXXI, Rome).
Avec Boucherot, on est aux antipodes de l’étalage de virtuosité théorique qui tourne à vide et des complicités de classe du monde de l’art. On se souvient d’un de ses premiers coups d’éclat façon ‘Far West’, du petit train touristique du panier. Une production intitulée « On n’est pas des Gobis » motivée par un processus de folklorisation de la misère, qui conduisait certains guides à vendre du frisson aux touristes en les mettant en garde contre les ‘voleurs de sacs’ de ce quartier populaire. L’épisode fera l’ouverture du 20 heures de TF1. D’autres conservent précieusement le souvenir de 200 minots en train de repeindre la rue d’Aix de Belsunce en rose au balai, sous sa direction, pour protester contre la fermeture de leur centre social. L’œuvre-performance sera intitulée « La Vie en Rose ».
Cet ancien diplômé des Beaux- Arts a aussi trimballé son célèbre triporteur (une baraque ambulante classée par le Fond Régional d’Art Contemporain) aux quatre coins du monde. Il s’est infiltré parmi des clandestins mexicains le long de la frontière avec les États-Unis. Il en ramènera des films et des objets (ex-voto et amulettes utilisés pour passer la frontière) qui feront l’objet d’une installation intitulée « Le Bonheur Pour Pas Cher » à la Fondation Ricard et à l’invitation de la Foire Internationale d’Art Contemporain (commissariat Evelyne Jouanno ). L’artiste s’est aussi fondu dans le quotidien d’une famille libanaise sous les bombardements (« Famille en Guerre », une exposition de photographies à l’Institut Culturel Français de Beyrouth). L’homme s’est aussi immergé dans la vie des cartoneros qui vivent de et dans la plus grande décharge à ciel ouvert de Joao Pessoa dans le Nordeste brésilien. Là, il travaille plusieurs mois avec l’anthropologue Giovanni Souza de Lima et les écologues de l’Université Paraiba sur les conséquences de la pollution des grandes métropoles sur les êtres vivants de la périphérie. Plus récemment, ce pionnier de l’inventaire du réel a infiltré pendant plusieurs mois (à l’invitation d’Evelyne Jouanno et Hou Hanru pour la Triennale d’Art Contemporain de Canton, Chine) le quotidien des paysans chinois de Nanlin, un village de haute montagne près de Canton. Le site – qui attire misanthropes désabusés, chinois de la classe supérieure en quête de paradis naturel, parias, politiciens corrompus et investisseurs ambitieux – doit servir de laboratoire pour le développement d’un projet eco-touristique et architectural colossal combinant capitalisme vert et culture. Ce que l’artiste observe dans ce village chinois en cours de transformation ce sont deux ‘esthétiques’ qui se juxtaposent l’une vécue, l’autre construite à travers un exotisme facile teinté d’un rabâchage caporaliste écologiste. Il en sortira « Nanlin, I Love You », une œuvre photographique incitant à la détente internationale.
CURRICULUM VITAE
FORMATION
1992 : Diplôme de l’École des Beaux-Arts de Marseille avec les félicitations du jury.
EXPOSITIONS
INTERVENTIONS
CONFERENCES
BIBLIOGRAPHIE
Études académiques :
Catalogue d’exposition :
Articles & extraits d’ouvrages (sélection) :
TV :
COLLECTIONS PUBLIQUES
COLLECTION PRIVEE
Un vrai-faux record du monde de vitesse en trottinette, un samedi 24 avril à 11h, à la rue d’Aubagne qui relie le quartier des artistes de la Plaine à Noailles, celui des Arabes et des Noirs. Je n’ai obtenu aucune autorisation pour cette performance donc j’avais fait croire au Guinness Book et aux journalistes que la mairie et la préfecture avaient donné leur accord. Le record établi à 45, 853km/h garantit mon diplôme des Beaux-Arts et un apéro au bar de la salle des ventes, chez Amar. Bar de clandos et cabaret de raï légendaire (film inédit).
https://www.youtube.com/watch?v=kkBA2F2lSZA
Le centre social de Belsunce-Bernard Bois est menacé de fermeture faute de moyen. Je propose à l’équipe de travailleurs sociaux de peindre la rue d’Aix en rose. On a mis les 200 enfants du centre et leurs parents dans le coup. Et avec deux voitures on a déversé 500 litres de peinture à bateau rose malabar que les gamins ont étalés sur le sol. Résultats: en quelques minutes la rue d’Aix était entièrement rose, un embouteillage historique (Il faudra sabler la rue pour la réouvrir) et un très beau monochrome.
La performance a eu lieu le 14 juillet 1994. Elle consistait à attaquer avec des œufs et de la farine le petit train touristique du Panier qui faisait passer les habitants du quartier pour des singes dans un zoo. Mon objectif : engendrer un désagrément salutaire. L’épisode fera l’ouverture du 20 heures de TF1. L’action sera jugée au tribunal et exposée le même jour au MAC de Marseille (photos et mon procès-verbal) posant le problème du jugement de l’Etat et des institutions dans ce type d’affaires.
Faire d’une journée ordinaire de chantier un acte artistique exceptionnel. Suite à une invitation de Anne Marie Pecheur, Jean Baptiste Audat (artiste panafricain) et Francois Batzoli (Professeur d’histoire de l’art qui s’écoute parler) qui venaient d’acquérir les grands bains douche de la rue de la bibliothèque à Marseille pour y créer la galerie Art Cade, je leur propose de m’occuper de la démolition et de l’extraction des gravas de plus de 300 m2 de cloisons, de baignoires en marbre ainsi que de la tuyauterie, chaufferie et d’une immense cuve en métal de plusieurs tonnes. Je fonde alors ‘Enterprise » la première entreprise de BTP qui n’existe pas avec un poing fermé prêt à frapper comme logo. Pour la sécurité du chantier, j’opère sous la direction d’un futur grand architecte: Bastien Rispoli. Je constitue un bataillon de 20 collègues de bar que j’habille des pieds à la tête en respectant scrupuleusement tous les codes visuels des entreprises de BTP avec tenues et outil siglés au logo « Enterprise ». Je loue des chalumeaux découpeurs, un marteau piqueur et une immense benne de 21 m3. Le Jour J c’est titanesque, toute l’équipe s’envole dans un élan de destruction massive et c’est le chaos. Les murs tombent les uns après les autres, les tuyaux sont transformés en mikado. L’après midi c’est le balet incessant des brouettes qui extraient les gravas vers la benne géante. Avec le centre social de la rue D’Aix (toujours ouvert après l’opération « la Vie en Rose »), j’organise des visites pour les gamins dont les papas travaillent souvent dans le BTP. Des artistes et des gens de la culture suivront la démolition jusqu’à la fin du chantier. Bilan: 21m3 de gravas, 300m2 de vide, 20 travailleurs bénévoles, pas d’autorisation, pas d’agrément, pas d’assurance, pas de contrôle…pas de blessé. Le tout en plein centre ville… Une époque bénie des dieux. Un entrepreneur qui visitait la fin de chantier me propose même d’embaucher tout le monde, mais tous préfèrent retourner au bar. Après deux ans de rénovation, la galerie ouvre ses portes et je participe à la première exposition ou je montre tout le matériel et les outils. Comme pour toutes les entreprises qui n’existent pas, je n’ai jamais eu d’atelier, je n’ai jamais été payé et je n’ai jamais touché d’argent public pour mon travail.
A l’invitation de l’École des Beaux-Arts de Marseille autour d’un projet intitulé « Luminy à la rencontre de Marseille » qui cherchait à combler le gouffre entre le mileu des artistes et les habitants de Marseille. Je décide de faire venir à l’intérieur de la galerie un dragster fabriqué par des amis du gang de bikers « les Huns » de Bordeaux et piloté par Jojo Merignac, leur président. Le soir du vernissage, on fait un burn out contre le mur alloué par la galerie de l’École d’art. L’idée était de mettre réellement en contact les gens de l’École d’art et Marseille. Comment ? En obligeant tous les spectateurs à sortir de la galerie pour se retrouver dans la rue. Le soir du vernissage, on attend que la galerie soit pleine à craquer pour faire démarrer le dragster, roue avant bloquée et pneu arrière brulant sur lui même jusqu’a exploser dans un vacarme insupportable et une fumée dense rendant la salle d’exposition irrespirable. Le public des afficionados de l’art contemporain doit alors trouver la sortie et se réfugier dans la rue. J’avais demandé à des complices d’appeler les pompiers afin de rendre l’atmosphère encore plus chaotique. La rencontre entre l’art contemporain et la rue marseillaise a bien eu lieu ce soir là. Et l’art au final ? Une trace sur le mur laissée par la gomme du pneu brulé et un trou dans le sol immaculé de la galerie.
Une exposition des logos géants des plus grandes marques de vêtement des années 90s dans la cité du Petit Bard (Montpellier). L’exposition sera précédée d’un match de foot et suivie d’un grand LOTO. Des vêtements de marque pouvaient être gagnés, mais au Petit Bard personne ne tire le gros lot.
Funérailles de Pablo Escobar en Colombie, 1993. A mon retour de Colombie, j’installe des hauts parleurs dans les spots de deal du quartier du panier à Marseille et un soir je diffuse le son d’un documentaire sur l’histoire des cartels de Colombie intitulé ‘A qui profite le trafic de cocaine ?’ Au même moment, un grand portrait photographique du parrain colombien est exposé au FRAC (Avis de Tempête, commissariat Eric Mangion)
Opération papillon, n.f. (lat. operation papilio), expédition trans-guyanaise que je réalise en 1995 avec Jacky Halter et Marie Ange de la Pinta, la sorcière du Panier. Objectif: explorer la plus grande frontière francaise et réouvrir l’ancienne route migratoire qui permettait aux Indiens Emérillons de migrer de Camopi vers la cote Caraibe. Après être partis du Surinam en pirogues en direction du Brésil et avoir traversé la montagne à pieds avec 23kg sur le dos, on arrive à Camp Jesus. A notre arrivée, nos guides étaient déjà partis après s’être saoulés sur place et avec leur paye en poche. Un seul guide de la première équipe décide de rester avec nous: Marcel Sabayo, ancien soldat amérindien du Jungle Commando. Dans la crique voisine, nous découvrons une plaque qui indique « Henry de Monfreid est mort à Camp Jesus » et une pirogue coulée que nous réparons avec nos habits. Nous fabriquons des rames avec des troncs d’arbres et descendons d’affluent en affluent, en se disant que les petits se jettent dans les grands. Une semaine de voyage sans alcool, sans cigarette avant d’atteindre Camopi en terres émérillons et enfin le Brésil avec Villa Brésil, première enclave brésilienne en Guyane dans l’état d’Amapa. Deux mois plus tard, une exposition aura lieu à la mairie de Camopi…
Je pars avec Yann Daumas et Sofiane Mammeri vivre et travailler six mois dans la communauté de Tapacura, une favela située sur les rives du fleuve Capibaribe de Récife dans le cadre d’un échange culturel Marseille/Pernambuco. On s’installe chez une famille mais les gens de la favela ne nous font pas confiance. Alors on organise des matchs de foot avec les gamins avec tee shirt à gagner, puis on passe aux ateliers vidéo. Il nous a fallu trois mois pour sortir les caméscopes. Et nous avons réfléchi a ce que pouvait signifier la création artistique au milieu de l’extrême pauvreté. La réponse s’est imposée d’elle-même quand nous avons eu nous aussi des problèmes d’argent. Il fallait trouver un moyen de s’autofinancer. Nous avons construit avec l’aide des gens qui nous entouraient ces fameuses baracas dont nous avons fait un moyen de survie. Les baracas sont des architectures de premières nécessités, des baraques ambulantes vendant boissons, nourriture et son. Peu à peu, nous nous sommes convaincus de l’idée de recomposer cet environnement utilitaire qui représente 60% de l’économie parallèle du Nordeste. Montrée à la Fondation Joachim Nabuco, l’une des plus anciennes institutions muséales de Recife, notre exposition de charrettes à bras fait scandale. Nous nous étions débrouillés pour organiser un système de transport afin de permettre aux habitants de la favela de venir au vernissage. Pour moi, une action artistique c’est quand une histoire fonctionne et que tous ses acteurs parviennent à s’y inscrire. Et cela a effectivement fonctionné. Les gens de la favela sont venus nombreux, ont vu leurs objets, se sont appropriés le lieu, et se sont mis à danser…Mais cela n’a pas amusé l’institution qui ferme le lieu au public deux jours seulement après le vernissage.
Triennale Internationale d’Art Contemporain de Canton, Chine, 2006, Commissariat Evelyne Jouanno et Hou Hanru. Nanlin est une petite ville en zone péri-urbaine destinée à devenir le premier site d’éco-tourisme de Chine. Pour promouvoir ce projet, les entreprises chinoises ont fait appel à trois artistes français (Sylvie Blocher, Matthieu Brillant et moi-même). Le projet officiel visait à archiver la mémoire vivante du site avec l’aide des habitants et des écologues locaux. Je fabrique avec les habitants et à leur demande un karaoké ambulant invitant « à la détente » internationale. Le karaoké est exposé dans un musée local dans le cadre de la triennale de Canton. Je décide de voler ma propre pièce pour l’exposer au centre du village de Nanlin ou elle a été fabriquée. Un feu d’artifice d’adieu en forme de croix m’attend. Campai !
Synopsis : João Pessoa, capitale de l’État de Paraïba au Brésil. Cette communauté d’un millier d’âmes trie les déchets pour les revendre à des marchands de matériaux de rebut. C’est le plus bas niveau de l’échelle de l’économie parallèle brésilienne. Ces personnes vivent dans des cabanes de tôles ondulées et de cartons, et se nourrissent des déchets trouvés. C’est en partenariat avec le professeur Giovanni, anthropologue de l’université fédérale de João Pessoa que ce documentaire a été réalisé. Celui-ci réalise une thèse sur les petites mains de l’économie de survie (dans le domaine du recyclage de matériaux en tout genre) au Brésil. Il montre les différentes étapes du tri et de la sélection des matériaux, les conditions inhumaines de survie de ces individus et l’énorme problème écologique que ce site crée.
Catando a vida, de Marc Boucherot, film 20’.
LES REPERCUSSIONS DU FILM :
A la suite des prises de vue réalisées en 2000 à la demande du professeur de l’UFPB Giovanni Souza sur la réalité des collecteurs d’ordures du site du Roger, il était incontournable pour Marc Boucherot d’y retourner, afin de constater l’évolution de la situation
Lors de son retour en février 2002, la situation a considérablement évolué, tout d’abord grâce aux images faites par Marc en 2000, le professeur Giovanni Souza de Lima a pu faire prendre conscience aux autorités et à la presse locale de la gravité de la situation humaine et écologique du site.
A la suite de la diffusion du documentaire, il y a eu un regain d’énergie de la part des travailleurs et des associations qui les soutiennent pour revendiquer de nouveau des moyens plus décents de travail et de survie. Les travailleurs de matériaux de recyclage (ASTRAMAR) qui habitent sur le dépotoir ou dans la favela du HESS, contigu à la décharge ont gagné en investissant les locaux de la Préfecture de João Pessoa et en manifestant dans les rues de la capitale.
Un programme a été mis au point par le gouvernement de l’État, répondant plus ou moins aux demandes des « catadores » (chercheurs de poubelles):
-Le relogement partiel des gens qui vivaient jusqu’à présent dans la décharge et se nourrissaient de détritus. Mais malheureusement ce relogement s’est effectué dans des conditions proches de celles du dépotoir (environnement très violent dû à l’insalubrité et à la promiscuité et surtout dû à l’abandon total des pouvoirs publics).
-L’interdiction de travailler pour les mineurs de moins de 15 ans avec obligation d’aller à l’école (faute de quoi, on supprime à la famille la bourse dérisoire qui leur est allouée).Avec la menace de prison si les enfants sont pris en train de travailler sur le dépotoir par la police qui veille 24 h sur 24.
-La construction d’un mur d’enceinte dissuasif tout autour du lieu.
-Le retrait définitif des animaux que certains éleveurs urbains nourrissaient sur la décharge (porcs) pour des raisons économiques.
-la construction d’une centrale de captation afin d’organiser un tri sélectif fait directement par les « Catadores », évitant au passage les intermédiaires (atraversadores) qui achetaient jusque-là de façon obligatoire et répressive les matériaux triés par les catadores pour les revendre jusqu’à 100 fois plus cher à quelques mètres de là aux « vendadores » (vendeurs). A terme, la décharge devrait d’ici quelques années disparaître pour être transférée ailleurs, mais le problème reste insoluble car aucune autre commune avoisinante ne veut de ce « cauchemar à ciel ouvert ». -Le problème reste dans son intégralité pour les déchets hospitaliers, toujours stockés dans des tranchées à l’air libre, sans aucun traitement de décontamination au préalable et de manière totalement illégale et sur lesquelles les autorités ferment les yeux.
Charettes à bras
Texte et entretien Evelyne Jouanno, commissaire d’exposition
L’empire de Marc Boucherot est celui de la combine et du système D, du réel in vivo pour le meilleur et pour le pire. Quand il n’est pas à Marseille pour déclencher des actions avec ses « frères » de quartiers (attaque d’un petit train de touristes, badigeonnage en rose de toute une avenue par des enfants, record du monde de vitesse en trottinette…), ou au milieu des fêtes et manifestations avec ses baraques ambulantes et sonorisées, c’est qu’il se trouve à l’autre bout du monde, dans les coins retirés et sensibles (Colombie, Nordeste du Brésil, Maroc, frontière américano-mexicaine…), d’où il ramène témoignages filmés et inspiration. Tournant dos depuis plus de dix ans aux systèmes établis, l’art est devenu pour lui un champ d’action permettant de négocier et d’interagir directement avec réalité, d’y soulever aussi les injustices et les incohérences. Sa pratique prend appui sur les formes d’économies parallèles, celles qui ne connaissent ni limites, ni frontières, et contribuent à niveler les valeurs d’usage et d’échange. Les baraques mobiles qui servent à gagner trois sous dans la « misère du monde », peuvent même aller jusqu’à s’installer dans une salle de musée. Sous l’intitulé à l’humour quelque peu décalé Tout va bien, l’artiste les utilise alors pour y proposer « Le bonheur pour pas cher ».
UN ENTRETIEN Evelyne Jouanno / Marc Boucherot
Depuis plus de dix ans, tu travailles plutôt en « hors-champ » : plutôt hors des structures institutionnelles et du marché (de l’art !), plutôt hors de France (Brésil, Maroc, frontière américano-mexicaine, rassemblements altermondialistes…). Comment considères-tu ton rôle en tant qu’artiste ?
Je pense que le travail d’artiste et celui de citoyen, c’est pareil. Aujourd’hui on nous parle de mondialisation, mais il faudrait aller regarder sur le terrain comment cela se passe. Mon objectif est d’utiliser l’art comme vecteur de permissibilité dans un système de plus en plus répressif et intransigeant. Car l’œuvre d’art, une fois déplacée hors de ses lieux habituels de présentation, devient un vide juridique. J’utilise donc sciemment le medium art-culture pour interagir avec la rue. Si j’étais « monsieur tout le monde », on ne me donnerait pas ce droit. Sous l’égide de l’art, tout est permis.
Tout va bien : un alibi ? une ironie ? un mode de vie ?
Les trois ! Tout va bien évoque les formes d’économie parallèle que l’on trouve dans tout le monde pauvre. C’est l’idée de l’ingéniosité des gens poussés par les nécessités économiques à fabriquer des objets qui puissent avoir une vraie vie économique de rue. Car plus il y a de riches, plus il y a de pauvres ; et face au système international mis en place, d’autres systèmes sont inventés pour survivre. J’ai ramené mes premières baraques ambulantes du marché de recyclage de Casablanca. Mes objets, au-delà d’être de jolies sculptures à regarder dans un musée, sont capables d’assumer la réalité et de s’autofinancer par une fonctionnalité quelconque (débit de boissons, nourriture, objets à vendre…), en donnant une raison sociale à la personne qui les utilise.
Et Là où tu veux ?
Mon triporteur Là où tu veux est une utopie permanente. Car pour moi, la véritable richesse, elle est de la rencontre avec les autres. Là où tu veux est conduisible dès 14 ans, aménagé avec sono, micro, enceintes, machine à pression, réfrigirateur, comptoir dépliant, toit amovible, bâche, remorque et groupe électrogène. C’est un point de communication mobile capable d’animer une fête, de diffuser boissons et cigarettes, mais aussi pains au chocolat et films à montrer devant les écoles contre la toxicomanie et les maladies sexuellement transmissibles… Là encore, c’est l’idée de l’objet qui n’est pas simplement joli à regarder, mais capable de s’adapter à diverses situations et d’assumer une fonction sociale dans la rue.
Et Le bonheur pour pas cher ?
Ces pochettes renvoient à l’art consommable : soit tu es fétichiste et tu les gardes comme œuvres d’art, soit tu les ouvres et les consommes.
Que signifie pour toi le déplacement de ton travail dans un contexte artistique, comme ici, dans le cadre de Prosismic ?
Je ne me pose pas la question de savoir si mon travail plaît ou ne plaît pas. Mon souci est que mes objets, qu’ils soient appelés sculptures ou autres, puissent occasionner de la communication, du bonheur et de la vie.
En plein lancement de Marseille Capitale de la Culture en 2013, je repeins une vieille 104 en rose en piratant le logo officiel de Marseille 2013, que je détourne pour en faire « A Marseille, La Culture C’est l’Attaque » avec une kalachnikov en référence aux règlements de compte qui secouaient la ville. Je réalise des affiches avec le même logo que je colle partout dans la ville la veille de la conférence de presse internationale qui était censée ouvrir le bal. La confusion sera totale. Je roulerai avec la 104 rose sans papier et sans assurance pendant toute l’année 2013 arguant à chaque controle de police que je travaille pour Marseille 2013. J’abandonne le véhicule à la place des moulins au Panier (celle ou nous avions attaqué le train quelques années auparavant). La 104 aura le même destin que beaucoup de pièces financées par l’argent public : A LA CASSE.